Sœur Bertine Bouquillon
(25-01-1850)
Dès l’année 1822, une jeune religieuse d'une communauté hospitalière de la ville
de Saint-Omer, au diocèse d'Arras, consolait l'Eglise de France par une vie
toute céleste, vrai parterre mystique dont la stigmatisation ne fut que l'une
des admirables fleurs. La Sœur Bertine avait, il est vrai, contribué largement à
cet effacement de sa vie devant les hommes en détruisant, comme nous le verrons,
un grand nombre de lettres et de papiers où il était question d'elle. Depuis
plus de vingt ans néanmoins qu'est morte l'humble Sœur, le souvenir de ses
vertus continue de répandre, autour de sa tombe, la bonne odeur de Jésus-Christ
avec une telle persistance que le parfum en est arrivé jusqu'à nous. Comment dès
lors garder plus longtemps le silence et ne pas révéler à la France et à la
chrétienté en détresse cette âme si belle à contempler, si digne d'être imitée,
peut-être même si puissante à nous exaucer! Plusieurs ecclésiastiques bien
renseignés, du diocèse d'Arras, un chanoine notamment, ont communiqué de
précieux documents et des notes prises sur les pièces officielles déposées aux
archives de l'Évêché ; de sorte que la notice présente offre toutes les
garanties d'authenticité historique si désirables en un pareil sujet.
La Sœur Bertine Bouquillon appartenait à une honorable et pieuse famille de
Saint-Omer où elle naquit en 1800. D'une grande douceur de caractère, elle se
concilia tous les cœurs dès ses premières années, ainsi que le témoigna, en
1824, une de ses amies, ancienne pensionnaire des Ursulines de cette ville chez
lesquelles Bertine avait été en classe, comme externe, jusqu'à l'âge de seize
ans. Sa vocation pour la vie religieuse dans une maison hospitalière s'était dès
lors déclarée, et loin de se décourager par le refus de ses parents d'acquiescer
aussitôt à ses désirs, elle avait résolument commencé son noviciat sous le toit
paternel en faisant les ouvrages les plus pénibles et les plus bas de la maison.
En vain, quatre ans plus tard, un riche négociant la rechercha-t-il en mariage,
son cœur demeura inébranlable dans sa résolution de n'appartenir qu'à Dieu seul.
L'épreuve était décisive du côté de la terre comme de celui du ciel, libre de
suivre sa vocation, Bertine, qui n'avait plus qu'à se fixer sur le choix d'une
maison religieuse, eut l'inspiration de visiter l'hospice Saint-Louis de sa
ville natale : c'est là que l'appelait le Seigneur, comme elle le comprit à
l'émotion profonde qui s'empara alors de son âme et qui persista, une fois sa
résolution prise, malgré toutes les objections soulevées par cette décision
inattendue. Dieu venait d'envoyer un ange de paix à l'hospice Saint-Louis où la
Sœur fit ses voeux le 23 avril 1822.
Or, à quelques mois de là, le 10 septembre 1822, à huit heures du soir, Sœur
Bertine qui était alors la plus jeune professe de l'hospice, vit tout à coup lui
apparaître, comme elle était couchée à l'infirmerie par suite d'une
indisposition, la Sœur Joseph Permecke, religieuse de la même maison, décédée le
23 juillet, à la suite d'un coup d'apoplexie foudroyante qui l'avait mise dans
l'impossibilité de se confesser et de recevoir le saint Viatique :
« Je vis bien distinctement, dit-elle dans ses dépositions authentiques où nous
puisons ce récit, la sœur Joseph en habits de religieuse, s'approcher de moi, et
je lui entendis dire ces paroles : « Ayez pitié d'une âme souffrante, d'une
consœur ! »
Je fus effrayée, poursuit-elle, et me cachai sous ma couverture. La vision
disparut. Je la pris pour une illusion ; mais réfléchissant que j'étais bien
éveillée, je ne savais qu'en penser. Je racontai donc le fait à ma supérieure et
à quelques consœurs qui me dirent que si la sœur m'apparaissait encore, il
fallait la saluer de ces mots :
« Loué soit Jésus-Christ ! »
« Elle revint effectivement le lendemain, â la même heure. Je me servis du salut
indiqué auquel elle me répondit : "Ainsi soit-il. Quel bonheur ! c'est toujours
autant de gagné".
Je la priai de ne plus venir et lui demandai pourquoi elle s'adressait à moi, la
dernière de la maison :
« C'est, me dit-elle, parce que j'ai confiance en vous et que je sais que vous
ferez tout ce dont je vous prierai ».
Alors et dans des apparitions ultérieures, la défunte donna à la Sœur Bertine la
commission d'aller recevoir de l'argent qui lui était dû de plusieurs personnes,
avec détermination de l'emploi de ces différentes sommes à diverses bonnes
oeuvres. Me lui remit même, un jour, une quittance avec prière d'aller en
toucher le montant auprès d'une personne de la ville ; la communauté n'y vit que
du papier blanc, tandis que la Sœur et la personne à qui fut présentée la
quittance, y lurent une obligation en bonne forme à rembourser. La défunte
fournit enfin à Sœur Bertine les moyens de tirer d'une grande épreuve une pauvre
servante injustement accusée de vol.
La Sœur Joseph fit aussi connaître, avant sa délivrance, à sa pieuse confidente
les circonstances si saisissantes de sa mort : sans signe de vie au dehors, mais
non pas privée de connaissance, elle avait ressenti le bienfait de l'absolution
et de l'Extrême-onction qui lui avaient été conférées ; et comme il lui était
impossible de manifester par aucun moyen la pleine connaissance qui lui restait
pendant l'administration des derniers sacrements, elle avait pensé à pouvoir se
recommander d'une manière quelconque à ses consœurs ; et comme elle était de la
Confrérie de Notre Dame du Mont-Carmel et qu'elle avait récité de temps à autre
des prières à cette occasion ainsi qu'aux Anges- Gardiens, elle avait conjuré,
en ce péril suprême, la Mère de Dieu et son Bon Ange de lui obtenir une
augmentation de contrition en vue de son salut, et la grâce d'apparaître à une
de ses consœurs. »
Mais voyons en quelques mots la suite de ces apparitions avant d'en venir aux
stigmates de sœur Bertine.
« Qui aurait cru, » s'écria une fois, en toute humilité, la défunte, « qu'une
misérable comme moi eût pu obtenir le bonheur de parler à une Sœur disposée à
bien vouloir soulager mon âme et celles des personnes pour qui j'étais chargée
de faire dire des « messes ! »
« Une autre fois, c'est la Sœur Bertine qui parle, la Sœur Joseph m'apparut et
me dit d'un air de plus en plus consterné qu'elle était extrêmement souffrante
et que je la verrais telle qu'elle était. Alors je commençai à la voir dans les
flammes à peu près jusqu'aux genoux et, comme elle cherchait toujours à exciter
ma commisération, je lui déclarai que j'étais disposée à partager ses peines et
même à sacrifier ma vie pour la soulager. Elle me répondit que Dieu n'exigeait
pas le sacrifice de ma vie, mais que je ressentirais bientôt les mêmes douleurs
qu'elle. Alors elle me prit la main : aussitôt je vis et ressentis des flammes
qui me brûlaient la main et le bras jusqu'au coude. Dans les apparitions
suivantes, je commençai à me trouver dans les flammes comme elle, et en même
proportion, et à chaque vision la flamme augmentait graduellement, jusqu'à ce
qu'enfin nous nous vîmes entièrement ensevelies dans les flammes qui s'élevaient
au-dessus de nos têtes. Nous nous trouvâmes cinq à six fois dans ce dernier
état, pendant environ un quart d'heure chaque fois. Les flammes ont ensuite
décru, dans les mêmes proportions qu'elles avaient augmenté, de sorte que, la
dernière fois qu'elle m'apparut, le feu ne nous allait que jusqu'aux genoux. La
défunte me dit aussi que malgré ses souffrances, il était bien heureux qu'une
malheureuse pécheresse comme elle, pût avoir l'espoir de jouir, un jour, de la
gloire de Dieu » Ici les commissaires, chargés de l'enquête, font la remarque
suivante : « Frappés de l'air calme et tranquille avec lequel Sœur Bertine nous
racontait ces apparitions du milieu des flammes, nous lui demandâmes si elle
avait une vraie idée du feu, et si elle ressentait, pendant ces visions, les
mêmes douleurs qu'elle éprouvait dans un feu réel. Elle nous répondit que
pendant sa vie elle s'était brûlée bien des fois, et que pendant ces visions
elle éprouvait les mêmes douleurs que si elle s'était jetée dans une fournaise
embrasée. La supérieure et plusieurs religieuses nous ont assuré qu'ayant touché
la main de Sœur Bertine au sortir des flammes, elles n'en pouvaient soutenir la
chaleur. » Ces terribles souffrances lui arrivaient la nuit, le jour, au
dortoir, au jardin, sans ordre proprement dit de temps ni de lieu. Il en était
de même des autres visions. Il lui était dit d'ailleurs qu'une immense
consolation accompagnait ces souffrances et ces flammes, c'était l'assurance
d'en sortir un jour pour monter au ciel.
Voici ce que Sœur Bertine raconte de la délivrance de la défunte : « Le 8
octobre, Sœur Joseph m'apparut pendant la Messe ; je la vis environnée d'une
clarté dont l'éclat me fit tomber du banc sur lequel j'étais à genoux, Les
quatre jours suivants, elle continua de réapparaître pendant la Messe ; la
clarté dont je l'avais vue environnée la première fois, augmentait à chaque
vision d'une manière très sensible, et je ne pouvais qu'à peine supporter la
vivacité de cette lumière. » En même temps elle voyait un ange dont les traits
se montaient successivement et peu à peu, comme pour indiquer la purification
graduelle de l'âme qui allait être conduite au ciel.
« Le premier novembre, au matin, continue Sœur Bertine, je récitais mes Petites
Heures, lorsque je fus tout à coup frappée et environnée d'une grande clarté. Je
vis des choses si ravissantes qu'il m'est impossible de les dépeindre. Je vis
Sœur Joseph en Purgatoire, et en même temps douze anges qui venaient à elle avec
un autre ange que l'ange Gardien qui était à côté de moi, me déclara être saint
Michel. En même temps je vis un grand nombre d'autres âmes dans les flammes,
l'air triste, mais qui marquait l'espérance. Je les ai entendues se recommander
à Dieu d'une voix plaintive :
« Mon Dieu, ayez pitié de nous ! Mon Dieu, pardonnez-nous ! Nous avons beaucoup
péché ; nos souffrances ne sont rien; nous espérons jouir de votre gloire ».
« Je vis ensuite Sœur Joseph, au milieu de ces anges, monter dans l'espace. Les
cieux s'ouvrirent tout à coup au large et il en sortit un éclat impossible à
décrire. J'entendis alors un concert ravissant et je suivis des yeux Sœur
Joseph, jusqu'à ce que tout se fut refermé sur elle ; je n'ai plus rien vu ».
En même temps que se passait cette scène invisible, la Sœur Bertine était dans
une extase complète, sans aucun mouvement ni respiration bien sensibles, les
bras d'abord en croix, puis soutenus par les sœurs Cécile et Elisabeth, comme
celles-ci l'attestèrent avec la supérieure.
Mais que s'était-il passé, pendant ces deux mois d'immolation volontaire, dans
la personne de Sœur Bertine ? Au plus fort de l'épreuve, la défunte lui avait
révélé des choses très fortes à l'adresse de plusieurs de ses consœurs et lui
avait fait une obligation de les leur dire sans crainte. L'émotion fut d'abord
grande dans la communauté, et les esprits étaient partagés ; mais lorsque la
pieuse Sœur, à la suite de ses communications avec Sœur Joseph, dit aux
religieuses ses compagnes, le jour de la Saint- Michel, qu'elle recevrait les
stigmates de Notre Seigneur, en preuve de la vérité de ses avertissements,
chacune d'elles se demandait si Sœur Bertine avait encore bien sa tête à elle.
On ne demeura pas longtemps en suspens : dès le lendemain, au moment où elle
venait de recevoir la sainte Communion, le sang coula de ses mains, à l'endroit
où les clous avaient percé celles de Notre- Seigneur. Le 1er octobre, les
stigmates parurent simultanément aux deux mains et aux deux pieds ; le 2, le
côté saigna ; le 3, il parut à la tête une couronne tressée d'épines, sur une
largeur de trois doigts, les gouttes de sang sortant à une distance d'un doigt
l'une de l'autre ; le 4, les stigmates se manifestèrent enfin à tous ces
endroits à la fois. L'émotion était à son comble dans la communauté : les
religieuses n'eurent plus de peine à ajouter foi aux avertissements souvent bien
sévères qui regardaient une foule d'abus tolérés parmi elfes et qui disparurent
enfin pour leur plus grand bien spirituel. Ainsi se trouva vérifiée cette parole
souvent redite par la Sœur Joseph qu'elle venait pour la paix et non pour le
trouble.
Cependant les supérieurs ecclésiastiques, consultés dans cette rencontre si
extraordinaire, n'eurent pas de peine a y découvrir l'oeuvre du Seigneur. Ils en
informèrent aussitôt Mgr La Tour d'Auvergne, Évêque d'Arras, qui nomma une
commission de théologiens et de médecins pour faire une information exacte de
l'affaire. Or le sentiment de cette commission fut unanime à se prononcer en
faveur du prodige. Au jugement des examinateurs ecclésiastiques comme à celui
des médecins, il fut reconnu en outre que Sœur Bertine avait une grande solidité
de jugement, un esprit parfaitement sain, sans compter que sa santé était à la
hauteur de ses qualités intellectuelles et morales. L'Évêque, après avoir
attentivement examiné les procès-verbaux et être venu lui-même en personne
continuer l'épreuve, se prononça définitivement pour le caractère surnaturel des
stigmates de la Sœur Bertine. Après son départ, le prélat écrivit à celle-ci une
lettre de direction où il l'engageait principalement à se maintenir, au milieu
de toutes ces faveurs, dans le chemin de la sainte humilité. Il revit la Sœur
presque chaque fois qu'il venait à Saint-Omer, ne cessant de lui recommander
par-dessus tout de s'abîmer dans son néant.
Nous verrons combien elle fut fidèle à pratiquer ces sages conseils et combien
elle se regardait en toute vérité comme une pauvre pécheresse et comme la
dernière de toutes ses consœurs. Mais, en attendant, quelle sensation
indescriptible autour d'elle ! Dans la maison, la communauté était comme
refondue, la règle observée dans ses moindres prescriptions, l'harmonie la plus
parfaite rétablie entre toutes les religieuses qui ne faisaient plus qu'un cœur
et qu'une âme entre elles : jamais, en un mot, tant de ferveur ne s'était vue
dans la maison. L'émotion gagna la ville d'où l'on se présentait à tout moment
pour voir la stigmatisée, au point qu'il fallut en venir à défendre ces visites.
L'enthousiasme arriva à son comble, mais pour faire bientôt place à la malice et
à la calomnie et, après une joie si pure, il sembla que l'enfer, jaloux du bien
qui allait se faire, s'était déchaîné contre la stigmatisée. Elle souffrit
néanmoins tous ces traits de la malveillance avec un complet abandon à la
volonté de Dieu. L'épreuve était passagère ; elle tomba de soi et la Sœur n'en
sortit, comme l'or delà fournaise, que plus pure et que plus dégagée du piège si
subtil de la vaine gloire. Ses stigmates continuèrent à se présenter tous les
vendredis et à toutes les grandes fêtes de l'année notamment, jusque peu de
temps avant sa mort.
Essayons maintenant d'en donner une description sommaire, d'après les rapports
authentiques. La couronne d'épines se constate encore aujourd'hui sur les
coiffes ou bonnets de toile qui ont été pieusement conservés de la Sœur Bertine.
Ces traces sont en forme de trois cercles concentriques et mouchetés, comme si
les épines avaient percé la tête de la stigmatisée. Ces trois cercles se
rencontrent sur toutes les coiffes et le nombre des blessures paraissant venir
de grosses épines, est constamment d'une centaine environ. Quant aux stigmates
des mains, des pieds et du côté, quelquefois le sang était fluide et en sortait
en abondance ; le plus souvent, il suintait, comme de la sueur. Beaucoup de
personnes ont vu notamment le sang sortir des mains ; quand on l'essuyait, la
peau apparaissait intacte, mais bientôt après le sang se montrait de nouveau.
Évidemment de grandes douleurs accompagnaient les stigmates. « Nous
interrogeâmes Sœur Bertine sur les douleurs qu'elle ressentait, disent les
examinateurs officiels. Elle nous répondit qu'elle éprouvait les mêmes douleurs
et aussi violentes, que si on lui enfonçait des clous dans les pieds et dans les
mains et un poignard dans le côté, et des épines dans la tête ; que ces douleurs
étaient continuelles, le jour comme la nuit ; qu'elles n'étaient cependant pas
toujours aussi vives, mais qu'elles avaient plus d'intensité quand le sang était
sur le point de paraître, et qu'elle se sentait soulagée lorsqu'il coulait. —
Mais, ajoutâmes-nous, pourriez-vous vous faire une idée des douleurs que vous
ressentiriez, si l'on vous enfonçait actuellement un clou dans la main ? — Oui,
répondit-elle, et je ne crois pas que je souffrirais plus que je souffre
maintenant. — Mais comment, en endurant des douleurs aussi cuisantes,
pouvez-vous avoir un air calme, paisible et comme impassible ? — Je n'en sais
rien, répondit-elle avec le même calme ; le Bon Dieu sans doute a pitié de moi
et m'assiste. »
Cette dernière réponse peint Sœur Bertine au naturel. Jamais on ne vit de
candeur plus grande, ni de plus admirable simplicité chrétienne ; son humilité
était à toute épreuve. Le trait suivant la fera suffisamment connaître. Comme
nous l'avons dit, son frère était prêtre. Il résidait non loin de Saint-Omer. Un
jour donc Sœur Bertine dit en riant à ses compagnes : «Il faut que je m'en aille
aujourd'hui en expédition. L'abbé a beaucoup de qualités, sans doute, mais il
manque d'ordre. Je suis sûre que son presbytère a besoin d'une grande revue; il
faut que j'aille voir comment tout y est rangé. » Et la voilà dans le
presbytère, en l'absence de son frère cherchant et empaquetant tous les papiers
et toutes les lettres où il était question d'elle et des faveurs qui lui étaient
accordées du Ciel ; puis, rentrant dans la communauté, chargée d'un véritable
fardeau de documents : « Allons ! allons ! dit-elle à une Sœur de la cuisine,
venez vite m'aider à brûler tout cela. Vous imaginez-vous un homme comme l'abbé,
qui laisse tramer tant de papiers inutiles ? Ha ! ha ! comme il sera charmé
quand il rentrera ! Et la Sœur, croyant bien faire, l'aida à détruire tous ces
témoignages des vertus de Sœur Bertine, se rendant ainsi complice de cet
héroïque vandalisme. L'abbé, on le comprend, ne fut pas enchanté du tout de la
visite de sa sœur, mais comment se fâcher contre elle, en présence d'une telle
preuve de sa sainteté ? Il était lui-même un prêtre accompli, digne à la fois
d'être témoin et victime d'une si noble action.
Néanmoins le souvenir des vertus de Sœur Bertine est resté comme un héritage
impérissable dans sa communauté de l'Hospice Saint-Louis, à Saint-Omer. Après
tant d'années, en effet, que l'humble stigmatisée est passée à une vie
meilleure, ses consœurs se plaisent encore aujourd'hui à redire toute la beauté
de son âme. Elle, si favorisée de Dieu, ne semblait se plaire qu'aux occupations
les plus pénibles et les plus viles de l'hospice : quoique d'une condition
aisée, comme nous l'avons vu, elle se livrait sans ménagement, comme si elle y
avait passé toute sa vie, aux travaux si pénibles de la buanderie, aux veilles
fatigantes près du chevet des malades, aux moindres détails de la maison,comme
de laver, récurer, nettoyer les ustensiles de cuisine, etc : c'était tout son
bonheur. Les stigmates apparaissaient-ils, elle se tenait à l'écart et fuyait
toute visite ; son mécontentement venait même à éclater ainsi que son chagrin,
quand quelqu'un s'oubliait à lui témoigner de la vénération. Plus tard même,
pour éviter tout retour sur soi et écarter l'ombre d'une tentation
d'amour-propre, elle pria Notre Seigneur de lui faire perdre le souvenir de
toutes les faveurs et des attentions dont elle se voyait environnée, et sa
demande lui fut pleinement accordée. Une telle humilité, au milieu de tant de
faveurs, rend bien croyable l'opinion de ses consœurs qu'elle avait conservé
jusqu'à la mort son innocence baptismale. Si oublieuse d'elle-même, elle ne
pouvait qu'être tout à ses Sœurs en même temps qu'aux malades ; elle aimait
par-dessus tout la paix avec le prochain et elle avait le don de la faire régner
autour d'elle, ce qui la rendait chère à tout le monde, tant aussi étaient
grandes ses attentions, ses prévenances, sa douceur et sa bonté exquises.
Cependant l'activité de son âme s'était principalement tournée vers les saintes
victimes du Purgatoire. Notre Seigneur les lui fit voir en grand nombre, après
la Sœur Joseph qu'elle avait délivrée au prix des plus cruelles souffrances.
Pour hâter leur réunion au Souverain Bien, elle offrait à Dieu ses actions, ses
peines, ses mortifications, ses douleurs et toutes ses oeuvres de piété, et il
lui fut donné d'en délivrer ainsi une multitude, après avoir abrégé le temps de
leur expiation.
Parmi les autres dons extraordinaires dont fut favorisée la Sœur Bertine, et que
nous ne devons pas laisser même ici en oubli, mentionnons d'abord ses relations
fréquentes avec les saints Anges. Ainsi elle vit souvent son Ange Gardien sous
les traits d'un charmant enfant de huit à neuf ans. L'Archange Raphaël se montra
lui-même à elle, au moment où avaient lieu les apparitions de la Sœur Joseph. Il
lui dit qu'elle devait communiquer des choses tout intimes à ses consœurs, et
dans une seconde apparition ; Dites ceci à la communauté, ajouta-t-il avec feu :
« Travaillez et sondez vos cœurs !... Sondez vos cœurs !... »
Un jour, au moment de la communion, la sainte Hostie s'échappa des mains du
prêtre et la Sœur reçut le corps de Notre Seigneur de la main d'un Ange.
Elle vit aussi le saint Patriarche Hénoch. Peut-être venait-il lui annoncer que
le temps de sa mission sur la terre, avec Elie, n'était plus éloigné.
Elle eut également une vision de l'enfer où elle aperçut plusieurs personnes de
sa connaissance. Elle y vit aussi un conquérant dont le nom a retenti dans
l'histoire : il était enveloppé de flammes et portait sur sa tête un diadème de
feu où se lisait également en lettres de feu le grand crime de sa vie.
Dieu avait encore favorisé la Sœur du don de l'extase ; elle fut d'abord ravie
fréquemment en public, puis rien ne parut plus au-dehors, l'humble Sœur ayant
obtenu de Notre Seigneur de vivre cachée en lui sans que le monde s'occupât
beaucoup de sa personne.
Mais elle avait beau fuir la vénération publique, sa renommée de sainteté lui
avait gagné tous les cœurs et bien des personnes recouraient en toute confiance
à ses prières, alors qu'il ne leur restait plus de ressources du côté des
hommes. On cite par exemple une malade, atteinte d'un cancer, qui, s'étant
recommandée à elle, se trouva bientôt radicalement guérie.
Enfin l'humble Sœur fut douée de l'esprit de prophétie. Voici les principales
révélations qui lui furent faites par l'intermédiaire de son ange gardien et
dont l'authenticité est bien constatée :
« L'Ordre des Frères Prêcheurs refleurira en France. »
Remarquons que sa communauté suivait alors en partie la règle de saint Dominique
et que ce bienheureux Patriarche était honoré comme patron de la maison ; cette
prédiction est d'ailleurs de beaucoup antérieure à la renaissance des
Dominicains parmi nous.
« La fin des temps approche et l’Antéchrist ne doit pas tarder à venir. Nous ne
le verrons pas, à la vérité, dit la Sœur Bertine, ni les consœurs qui nous
succèderont; mais celles qui viendront après, tomberont sous sa domination. Lors
de son avènement, rien ne sera changé dans la maison ; tout y sera dans l'ordre
habituel ; les exercices religieux, les travaux, les occupations dans les salles
des malades, tout se fera comme de coutume, quand tout à coup nos sœurs
apprendront qu'il est le maître : ce qui arrivera à la fin de ce siècle ou au
commencement de l'autre ».
« Le dernier des rois de France qui régnera lors de l’avènement de l’Antéchrist,
périra dans une bataille et son corps restera abandonné et privé de sépulture. »
« Quant à la fin du monde, ce n'est pas pour ce siècle ; Le commencement de la
fin ne viendra pas au XIXe siècle, mais sûrement au XX° siècle ».
On attribue encore plusieurs autres prophéties à Sœur Bertine, par exemple sur
le petit nombre des vraies stigmatisées après elle ; mais on n'est pas certain
de l'exactitude de ces assertions.
Comme bien des prédestinées, la Sœur Bertine avait eu connaissance bien à
l'avance du temps de sa mort : elle avait bien des fois confié, dans l'intimité,
à quelques-unes de ses consœurs qu'elle ne parviendrait pas à la vieillesse. Ses
dernières recommandations à ses consœurs réunies autour d'elle, furent celles du
disciple Bien-aimé :
« Mes chères Sœurs, aimez-vous les unes les autres. »
Elle s'endormit en effet dans le Seigneur, à l'âge de quarante-neuf ans et dix
mois. Comme Jésus en croix, la pieuse Bertine, inclinant doucement la tête,
s'endormit dans le Seigneur, munie de tous les Sacrements de l'Eglise, le jour
de la conversion de saint Paul ; c’était un vendredi, son jour de prédilection,
à la troisième heure (neuf heures du matin), le 25 janvier 1850.