Sainte Mechtilde (1241-1298) et Sainte Gertrude, sa sœur, naquirent en Haute-Saxe. Comtesses de Hackeborn, elles étaient apparentées à la puissante famille des Hohenstauffen.
Sainte Mechtilde nous livre une grande fresque prophétique en nous annonçant les événements de la fin des temps :
« Constitutions de l'Ordre des Apôtres futurs.
Une grave persécution s'était élevée (en 1256), contre l'Ordre des Prêcheurs (les Dominicains), par l'action de faux docteurs et autres pécheurs adonnés à la convoitise. J'ai prié le Seigneur de conserver sa faveur à l'Ordre, Le Seigneur me dit :
— Tant qu'il me plaît de les conserver, il est impossible, à la malice, si grande soit-elle, d'un homme quelconque de les abolir.
— Est-ce que, mon Seigneur, cet Ordre subsistera jusqu'à la consommation des siècles ? dis-je au Seigneur.
Il me répondit ;
— Il durera jusqu'aux derniers temps.
Alors, surgiront des hommes d'une nouvelle Religion qui surpasseront en sagesse, en puissance, en pauvreté et en ferveur de cœur ces Prêcheurs, en vue de la dernière tribulation qui troublera l'Eglise.
J'ai vu leur vie, leurs vêtements et leur grand nombre. Ils n'auront que deux vêtements, celui de dessous blanc, celui de dessus rouge, représentant la pureté de l'humanité du Christ et symbolisant sa Passion. Ils seront ceints, en signe de la désolation de l'Eglise, d'une ceinture d'olives, c'est-à-dire du fruit ou de l'écorce de l'olivier. Ils marcheront pieds nus, excepté dans les pays où la terre est durcie par la gelée. Là, ils porteront des chaussures rousses, attachées avec des courroies ou cordons blancs, sans bas. Ils se laveront la tête avec de l'eau dans les bois en été, mais non en hiver ; car ils n'auront point de résidence. En tout lieu, ils seront étrangers et recevront l'hospitalité, n'ayant point aucun domicile à eux. Ils ne posséderont ni argent ni or en réserve, supportant les nombreuses incommodités de la pauvreté.
Chacun d'eux porte un bâton blanc, coloré en rouge, ayant à la partie supérieure une croix d'ivoire en forme de Thau (T) de la longueur d'une palme. L'ivoire est pour eux l'indice de la chasteté et de toute pureté ; le bâton peint en rouge rappelle la Passion. D'un côté de l'ivoire est sculptée l'image du Christ souffrant, de l'autre l'Ascension.
Ils l'auront en leur présence en tout lieu, soit qu'ils mangent, boivent, dorment, prient, soit que, pendant le jour, ils prêchent, célèbrent la messe, ou entendent les confessions. Lorsqu'ils l'ôteront de leur main, ils le planteront en terre, tourné de manière dont leurs regards se portent sur la Passion du Christ. Lorsque pour cause d'utilité ou de nécessité, le chemin à parcourir sera étendu, ils auront un âne (un seul), sur lequel ils monteront de temps en temps ; même dans ce cas, ils ne placeront pas le bâton à leur côté, mais le porteront droit devant soi avec le même respect qu'ils tiendraient la Croix du Seigneur.
En chevauchant sur l'âne, ils imiteront l'humilité du Christ, Ils en feront usage aussi quand leurs pieds seront blessés assez gravement pour qu'ils ne puissent soutenir la marche. Ils porteront des souliers seulement depuis la Toussaint jusqu'à la fête de la Chaire de Saint Pierre.
Pour se procurer des livres, ou pour d'autres nécessités, ils ne demanderont rien de qui que ce soit : ils pourront demander du pain seulement, lorsqu'on ne leur en offrira point. Ils mangeront avec les gens du commun et du peuple de n'importe quel mets qui sera offert, excepté de la viande. Ils ne jeûneront pas, si ce n'est lors des jeûnes établis par l'Eglise. Ils pourvoiront à leur logement, en recevant l'hospitalité, de telle sorte qu'ils puissent y dormir et prier séparés des autres.
Témoins d'une si grande sainteté, les fidèles édifiés leur donneront le nécessaire abondamment et avec plaisir. Ils ne recevront pas l'hospitalité chez des veuves. Les fidèles laveront avec dévotion les pieds fatigués de ces apôtres, rendant grâces à Dieu de ce qu'ils répandent la ferveur dans l'Eglise. Ils oindront leurs pieds, comme hommes et non des dieux, parce qu'il a été permis à Marie-Madeleine de répandre des parfums sur le Fils de Dieu, vrai Dieu. Lorsqu'ils verront leurs vêtements usés, les hommes leur en fourniront de neufs. Beaucoup de choses leurs seront offertes ; ils refuseront, invitant les donateurs à les employer pieusement en bonnes oeuvres.
Deux fois Tannée, ils tiendront chapitre, en été dans la forêt, en hiver dans la ville, à la maison consulaire des citoyens. Si quelqu'un veut embrasser cet état, il devra avoir deux sortes de livres. Il se servira du plus grand pour prêcher. Le livre commence ainsi : Je crois en Dieu, et d'autres chapitres suivent, savamment rédigés selon la doctrine catholique. Dans le plus petit, ils chanteront les heures canoniales.
Le premier fondateur de cet Ordre sera fils du roi des Romains. Son nom signifie devant Dieu : Alléluia. Le Pape lui donnera la première investiture ; ensuite, il choisira à son gré. Il recevra du Pape cet institut où de grands maîtres viendront prendre l'habit avec lui pour l'imiter. L'âge de l'admission ne sera point au-dessous de vingt-quatre ans. Ils n'admettront que des hommes de bonne santé et fort instruits. Car il faut que tous les prêtres, les confesseurs et les chefs soient des savants.
Le premier chef, qui marchera escorté de trois Frères, sera dit Principal, parce que principalement en lui la foi sera attaquée. Sur treize il y aura parmi eux un président qui sera appelé Gardien : il sera toujours accompagné de deux autres religieux. Leur autorité est si grande qu'aucun des évêques n'en aura de comparable. Aucun ne pourra leur interdire.de prêcher, d'entendre les confessions, de célébrer la messe. Dans chaque évêché, il y aura sept d'entre eux, comme les sept dons de l'Esprit-Saint. Dans un archevêché treize, comme le collège apostolique du Christ. À Rome, il y en aura treize, en mémoire du commerce (heureux pour nous) qui vendit le Christ (30 pièces d'argent). À Jérusalem, il y en aura beaucoup, parce que c'est là que le Christ fut mis à mort.
Un petit chapitre se tiendra trois semaines après (la fête du) mystère de la Trinité, en ville ; il se composera de cinq Frères en l'honneur des cinq plaies du Christ, ou de sept en mémoire des sept dons de l'Esprit-Saint, ou davantage selon qu'il sera possible de les réunir. Pendant le repas, le premier de l'Ordre doit parler de la vie et des exemples du Christ ; pendant ce temps les autres garderont le silence. Ils dormiront par terre, ayant une couverture de laine blanche sur un matelas et une autre de même couleur sur eux. Le traversin placé sous la tête sera recouvert d'une taie. Ils n'appuieront mollement leur dos ni en s'asseyant ni en s'étendant, parce qu'ils seront bien portants jusqu'au jour de leur martyre, comme l'a été le Christ. Mais ceux qui ont été utiles, ceux qui, pour cause de caducité provenant de la vieillesse, ne peuvent, débilités ou malades, attendre la fin de l'Ordre, on devra bienveillamment les faire reposer sur une couche moelleuse et les réconforter par une nourriture délicate, selon leur utilité et le besoin de leur santé.
- Persécution de l'Antéchrist -
Ce saint Institut subsistera dans une douce paix pendant trente ans, durant lesquels l'Eglise sera ainsi par eux enseignée et éclairée, parce qu'il ne faut pas que par cause d'ignorance, on s'éloigne de la foi.
Hélas ! hélas ! après cela surgira la tribulation. Car alors, l'Antéchrist venant, il s'attachera étroitement les princes séculiers par l'or, les pierres précieuses et une très-grande habileté, qu'ils aiment et recherchent. Ils adhéreront donc volontiers à lui, l'honorant comme Dieu et leur Seigneur, lui remettant le commandement et leurs sceaux avec leurs diplômes (avec pleins pouvoirs, probablement).
Hélas ! alors, venant vers le clergé, il le circonviendra par l'intérêt et avec une très-grande astuce, d'autant plus qu'il ne restera alors dans l'Eglise que peu d'évêques et autres prélats. À cette époque, ces Frères, au péril de leur vie, prêcheront la foi catholique, promettant et donnant l'indulgence de tous leurs péchés à ceux qui seront vraiment pénitents, et la vie éternelle sans purgatoire à ceux qui persévéreront dans la foi. Parce que ces Frères auront vécu saintement dans le peuple, des fidèles seront associés en grand nombre avec eux au martyre. Beaucoup de Juifs et de païens sensés recevront par eux la foi catholique et le baptême. De là l'indignation de l'Antéchrist, qui imposera des corvées et prodiguera des menaces à ceux qui viendront à leurs sermons.
Bienheureux ceux qui alors les écouteront et les assisteront !
Les envoyés de l'Antéchrist viendront. Ils transperceront d'une barre de fer le saint prédicateur, parce qu'il prêche la doctrine chrétienne. Il faudra qu'il reste planté sur cette perche de fer pour jeter chez les autres la terreur et leur inspirer l'effroi. Ces envoyés porteront en spectacle parmi eux celui qui aura été ainsi transpercé. Les pieux chrétiens s'apitoieront et pleureront, les impies se moqueront et se réjouiront. Alors il chantera dans l'esprit de Dieu : "Je crois en Dieu !" et encouragera les fidèles, disant : "Suivez-moi, enfants de Dieu !" Alors, tous ceux qui le suivront seront pris, flagellés les yeux bandés et conduits vers une grande étendue d'eau. Là, ils auront la tête tranchée et seront jetés dans le cours d'eau. Où il n'y aura point d'eau, il seront tués dans les champs.
Il est dans les desseins de Dieu que les yeux des Saints soient couverts, de peur que la fragilité humaine ne soit impressionnée par la vue de la très-grande pompe que les méchants, partisans de la bête, déploieront. Ils (les Chrétiens fidèles, sans doute) repêcheront (le corps du) saint prédicateur ainsi mis à mort à l'endroit qu'il aura prêché et souffert (le martyre). Après cela, ceux qui voudront suivre la foi en Jésus-Christ seront des martyrs vivants et de grands saints. La terrible puissance de l'Antéchrist sera si grande que personne au monde ne pourra lui être comparé, puisque le Pape lui-même, ne pouvant prévaloir, se tournera vers les Frères et partagera leur sort dans la souffrance.
- De la venue d'Enoch et d'Elie -
Alors, à leur aide, viendront Enoch et Elie, qui sont maintenant dans le paradis, soutenus par la nourriture dont Adam eût dû se nourrir, s'il y était resté. Ils se gardent par obéissance à Dieu du fruit de l'arbre défendu. Cet arbre, je l'ai vu : il n'est pas grand, son fruit est fort beau. comme une rose, mais naturellement d'une saveur amère, signifiant l'amertume du péché.
Dieu ne voulut pas que l'homme en fît usage, parce que ce fruit a encore cet inconvénient qu'il est un poison. Aussi cet arbre fut-il prohibé par Dieu à l'homme pour qui il ne créa pas ce qui est mauvais.
Dans cette extrême tribulation, lorsque ces Frères soutenant tout le peuple choisi l'auront amené à accepter le sacrifice, eux et la plupart des survivants se trouveront innocemment dans une extrémité telle qu'elle donnera lieu à une sainte prière pour que Dieu envoie vers eux le plus tôt possible Enoch et Elie ; le but de cette prière sera que ces personnages les consolent, les retirent des forêts, les prêchent et les préparent à la mort. Sortis tous les deux du paradis, remplis de la sagesse du Dieu de vérité, ils réfuteront l'Antéchrist en lui résistant puissamment.
Ils démontreront clairement son origine, en vertu de qui il fait des prodiges, d'où il vient et quelle sera sa fin. Ses partisans voyant qu'ils sont tombés dans une erreur déplorable en l'honorant comme Dieu par convoitise et concupiscence, des conversions s'opéreront surtout parmi les hommes de condition et des grandes dames qui s'étaient éloignés de la vraie foi.
Alors, les justes seront mis à mort, l'Antéchrist se trouvant à cette époque au comble de sa puissance. Il ramassera tous les chrétiens qu'il pourra trouver et préparera sur les places des chaudières en ébullition. En présence de leurs femmes et de leurs enfants, il les forcera à choisir entre renoncer à la foi ou périr dans les tortures. Les hommes répondront : "Courage, femmes ! pensez non à nous, mais aux joies éternelles ; offrez-vous en victime, et ainsi nous ne serons point séparés; au contraire, nous régnerons ensemble". Les épouses et les enfants répondront : "Seigneur Jésus, fils de la Vierge, pour toi volontiers nous subirons le martyre". Alors, les martyrs seront précipités avec leurs enfants dans une grande fosse pleine de feu. On jettera sur eux du feu, du bois, de la paille, et ils seront brûlés. Or, quand un ange tirera Enoch et Elie du Paradis, sans que leur gloire et leur félicité descendent avec eux, voyant la terre ils seront stupéfiés, comme ceux qui voient la mer redoutent de la traverser. Alors, reprenant leur forme terrestre, ils seront mortels. Leur nourriture sera du miel et des figues ; leur breuvage du vin mêlé d'eau.
Mais leur âme sera remplie de l'onction de Dieu.
Leur route sera des Indes dans la direction de la mer. L'un et l'autre seront suivis de la grande multitude des fidèles fuyant l'Antéchrist.
Ils seront tous mis à mort comme des chiens enragés, dont la vie est redoutée comme une peste. Les Chrétiens occultes, sachant qu'ils ne pourront éviter plus longtemps le péril de la persécution, s'attacheront à eux.
Elie le premier sera attaché à une croix très-élevée, par les mains percées de clous ; parce qu'il aura souvent prêché la glorification de la croix et exalté tout ce que Jésus-Christ a souffert sur la croix. Ce supplice lui sera infligé dans le dessein que, brisé par ce long tourment, il fléchisse dans la foi, il s'attache à l'Antéchrist pour éviter la mort. Mais, gardant le silence, il restera suspendu à la croix pendant trois jours et trois nuits, édifiant le peuple jusqu'au dernier soupir.
Alors j'ai vu Dieu le Père recevoir son âme des mains de son Fils, disant : "Viens, mon ami, ton heure est enfin arrivée !" Et, dans une splendeur céleste, Dieu le reçoit au sortir de ce monde.
On ne permet pas qu'il soit enseveli pour inspirer la terreur aux Chrétiens, mais l'aspect du saint corps excite davantage leur foi et leur dévotion. Ils le vénéreront. La présence de ce corps sacré les remplit d'une telle suavité qu'ils font peu de cas de la mort et de toutes les choses terrestres.
Enoch survit. L'Antéchrist le permet, parce qu'il se plaît à entendre toute la science de Dieu que sait Enoch. Il a l'espoir de la tourner à son profit, pensant pouvoir s'attacher Enoch lui-même et ainsi dominer tout le monde. Cependant tant se retirent de l'Antéchrist qu'il commence à se conduire plus sévèrement à l'égard d'Enoch. Alors, Enoch l'apostrophe le premier de cette manière : "Tu es le fléau de toute la terre. Tu as été envoyé par Dieu pour consommer la ruine des pervers et servir d'épreuve aux élus. Puisque tu as la connaissance de l'un et de l'autre Testament, vois donc quelle sera la fin que tes actes te préparent, si tu le veux et s'il te plaît. Selon l'Ecriture, tu es le fils de perdition, comme toi-même le lis. Tu n'as pas créé le ciel et la terre, ni donné la vie aux anges. Tu n'a pas fait l'homme ni aucune autre créature. Comment pourrais-tu être Dieu ? Tes œuvres sont des fourberies ; la vérité est Jésus-Christ, qui est Dieu et vit avec le Père".
- Mort d'Enoch -
Irrité, le fils de perdition répond : "De quel front, moi présent, nommes-tu mon ennemi et ne crains-tu pas de lui attribuer ma gloire ? Je m'en consolerai, et de toi je délivrerai le monde. Saisissez-le", dit-il, "et versez-lui dans la bouche de la poix bouillante. Serrez-lui le cou avec de fortes courroies et que sur-le-champ, mon ennemi se taise ! Si je pouvais supporter ce qu'il dit, volontiers plus longtemps je prolongerais ses tourments. Suspendez le, mort, plus haut que tous les criminels, afin que tous ceux qui le verront craignent de croire dans le Christ. Il a blasphémé, il est coupable de lèse-majesté. Il a professé une doctrine chimérique, mon existence a été prédite depuis longtemps ; d'après ce que je sais, ma vie sera prospère". Alors Enoch, priant intérieurement, dira : "Père saint, Fils et Esprit-Saint, vous êtes éternel et indivisible ; je vous rends grâces de ce que depuis longtemps vous m'avez choisi, et de ce que vous avez voulu que je souffre pour vous maintenant. Je vous prie pour vos brebis et les miennes, désormais abandonnées sans pasteur. Veillez sur elles d'une manière particulière et consolez-les paternellement. Recevez mon âme, de mon corps je n'ai souci".
J'ai vu la divine réponse qui lui est alors donnée, son action de grâce et sa prière ; je l'ai lue écrite dans le livre de l'éternité. Elle est ainsi conçue : « Cher fils, hâte-toi fort maintenant de venir à moi, parce que je suis vraiment glorifié en ta personne. Ceux pour qui tu pries baptiseront eux-mêmes les enfants, je vais promptement les soustraire à la tyrannie du fils de perdition.
Dans leur cœur, ils resteront fidèles et je les garderai de tomber dans les filets du désespoir. Viens, mon cher, je t'attends, et en toi mon coeur se complaît ».