Vers l'année 1781, on se préoccupa beaucoup de la découverte d'un manuscrit, faite dans la bibliothèque d'un couvent de pères capucins de Toscane, en Italie. Ce manuscrit, qui contenait, disait-on, des choses merveilleuses, donna lieu à une enquête suivie, consciencieuse d'où il résulta les constatations suivantes consignées dans un journal fort répandu à cette époque, et reproduites dans un livre publié dans le même temps, à peu près, à Paris.
Mais, quoi qu'il en soit à cet égard, il n'en reste pas moins une indication merveilleusement exacte des événements qui devaient s'accomplir quelques années après la découverte de ce précieux travail. Nos lecteurs en pourront juger par la lecture du procès-verbal suivant, dressé à la suite d'un interrogatoire subi par les pères capucins possesseurs de ce manuscrit et après l'examen qu'on fit de son texte.
Cette prophétie commente la situation de l'Eglise à partir de la fin du XVIII° siècle jusqu’à nos jours. Ce manuscrit, dont l'écriture donnait exactement la date d’originaire, devait remonter à la fin du XV° siècle ; il était rempli d'annotations et d'additions, les unes écrites à la main, les autres imprimées, et contenait sur les évènements à venir des prophéties dont l'interprétation occupa singulièrement les esprits les plus sérieux de cette époque.
Voici ce procès-verbal :
« Les vénérables pères, pressés de citer quelques fragments relatifs à l'accomplissement des prédictions contenues dans le manuscrit qui a fait tant de bruit depuis deux mois, ont déclaré :
Qu'il annonce clairement la suppression de l'Institut des jésuites pour l'année 1773, et plusieurs autres évènements arrivés dans l'Eglise depuis lors jusqu'à ce jour.
Qu'il prédit clairement que l'Eglise perdra son autorité ;
Que la France souffrira et que les plus grands malheurs tomberont sur la Bourgogne et la Lorraine, après quoi les puissances de l'Est et du Nord feront entre elles une étroite alliance contre quiconque s'opposera à elles ;
Que cette alliance sera suivie d'une guerre qui désolera la France et l'Italie ;
Que le pape sera entièrement dépouillé de ses domaines temporels ;
Qu'ensuite les ecclésiastiques et les réguliers, de quelque classe et ordre que ce soit, recevront des puissances laïques leur subsistance alimentaire, leurs vêtements et le pur nécessaire pour l'entretien du ministère de Dieu, des âmes et du culte dans les temples qui lui sont dédiés ;
Tellement que tous leurs biens seront anéantis, ainsi que toutes les communautés et les ordres réguliers, à la réserve d'un seul auquel il sera prescrit de vivre suivant les règles de la plus stricte observance des anciens moines ;
Que, par suite de ces funestes calamités, le pape cessera de vivre ;
Qu'il résultera de grandes pertes et que l'Eglise de Jésus-Christ tombera dans une affreuse anarchie ;
Qu'enfin il s'élèvera des querelles très-vives entre les puissances alliées de l'Est et du Nord ;
Qu'en attendant se fera l'élection du chef de l'Eglise, du légitime pape romain : il portera un nom angélique, et ce sera un sujet tellement pieux, savant et de mœurs si exemplaires, que sous lui l'Eglise recouvrera sa pureté, sa simplicité et son innocence primitive, pour son édification et l'instruction du clergé et du bon peuple de Dieu.
Qu'on fixera un revenu suffisant et honorable au pape pour son entretien ; et dans une juste proportion aux évêques et à toutes les classes du clergé : on verra le pape et tous les autres dignitaires ecclésiastiques dépouillés de toute pompe mondaine et de toute juridiction temporelle, et vivre comme vivait anciennement tout le clergé, suivant la discipline primitive ;
Que le Saint Père expédiera douze hommes apostoliques tirés d'un couvent d'institut régulier non éteint, pour aller en mission dans les quatre parties du globe, et ils auront le don de convertir tout le monde à la foi catholique, apostolique et romaine.
Le texte imprimé, les notes manuscrites en latin et en toscan, ajoute en terminant le procès-verbal, disent que tout cela arrivera dans la fin du XVIII° siècle et dans la première moitié du siècle suivant ».
Il est impossible de n'être pas profondément saisi de l'exactitude de prévision de cette prophétie ; les évènements y sont plus qu'annoncés, pour ainsi dire, ils y sont racontés dans leurs circonstances les plus imprévues et les plus éloignées.Il suffit de se rappeler les faits qui sont venus successivement modifier si profondément l'état de l'Eglise ; la constitution civile du clergé ; l'exil et là mort de Pie VI ; l'enlèvement de Pie VII sous l'Empire ; l'avènement de Pie IX dans ces dernières années, et la conduite libérale qu'il a tenue, les réformes qu'il a accomplies, pour apprécier le caractère remarquable de la prophétie que nous reproduisons.
Quant à son caractère d'authenticité, quelle qu'en soit la source, il ne peut souffrir aucune contestation. Cette prophétie, en effet, est empruntée, comme nous l'avons dit, à un manuscrit du XV° siècle ; son authenticité se trouve constatée par un procès-verbal régulier ; sa découverte est mentionnée
dans un journal de l'époque, ainsi que l'impression profonde qu'elle produisit ; et enfin nous retrouvons la mention détaillée, avec la reproduction en langue moderne, de ce curieux document, dans un livre que nous avons sous les yeux et qui été imprimé et publié en 1782, à une époque où on ne pouvait guère soupçonner de si grands changements, où rien ne permettait de supposer que les faits consignés dans cette prophétie fussent non pas probables mais possibles, mais imaginables seulement, et on les pressentait si peu d'ailleurs, que le livre qui reproduit cette prophétie le fait en raillant, avec le témoignage d'une parfaite incrédulité. Cependant l'histoire est là qui, dix ans plus tard, donne successivement raison à cette intuition supérieure de l'avenir ».