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Histoire de Saint Ambroise d’Optino - Le Staretz Ambroise


Alexandre Grenkov naquit le 21 novembre 1812 dans une famille cléricale, son père était lecteur dans une paroisse de village. Il est décédé le 10 octobre 1891 à Chamordino.

Résumé de la vie des predictions et des visions dont fut favorisée Saint Ambroise d’Optino.

Sa naissance tomba le jour d’une fête paroissiale, une multitude de paysans venus des localités voisines remplissait le village : « Je suis né dans la foule et je vivrai toujours au milieu de la foule » disait-il.

Le jeune Alexandre, très doué pour les études, était d’une vivacité débordante. On le voyait gambader sans cesse dans les rues avec ses camarades. Bien qu’il n’apprît jamais ses leçons, il fut toujours le premier à l’école.

Il entra au séminaire de Tambov mais, son instruction une fois terminée, ne chercha pas à faire une carrière ecclésiastique

Le futur starets passa quelque temps comme précepteur dans une famille de propriétaires et occupa ensuite la place modeste de maître d’école dans son village natal. Alexandre Grenkov cherchait souvent la solitude, s’éloignant dans le jardin ou montant au grenier pour prier.

Encore au séminaire, tombé gravement malade, Alexandre avait fait vœu de prendre l’habit. Guéri, il ajournait toujours l’accomplissement de sa promesse.

Un jour, se promenant dans la forêt, il entendit clairement dans le bruit d’un ruisseau les paroles : « Louez Dieu, aimez Dieu ». Le jeune instituteur alla voir un starets, le reclus Hilarion, connu dans toute la région de Tambov pour la sagesse de ses conseils inspirés.

Le starets lui dit : " Va à Optino, tu y trouveras l’expérience " (jeu de mots intraduisible : oppyt = " expérience ").

En 1839, Grenkov visita le monastère d’Optino mais n’y resta pas. Il hésitait encore.

Après une soirée où il parut particulièrement gai ; Grenkov dit brusquement à l’un de ses amis : "Je ne peux plus rester ici. Je pars pour Optino." Quelques jours après, il quitta son village et fut reçu à Optino par le starets Léonide.

Le novice, après avoir rempli pendant quelque temps des obéissances à la cuisine, fut désigné par le starets Léonide pour lui servir de lecteur. Il devait dire chaque jour, dans la cellule du starets, les prières prescrites par la règle monastique. On ne sait pourquoi le starets Léonide, en plaisantant, appelait son nouveau disciple " chimère. " En mourant, il le " remit de la main à la main " au starets Macaire.

Alexandre Grenkov reçut le nom d’Ambroise lors de sa prise d’habit, en l’honneur de Saint Ambroise de Milan. Bientôt, il fut ordonné diacre.

Une fois, près de l’autel, le starets Antoine, lui demanda : " Eh bien, vous vous habituez ? "
Ambroise répondit avec désinvolture : " Grâce vos prières, mon père. "
Mais le père Antoine acheva la phrase : " ... à la crainte de Dieu. " Confus, le moine comprit la leçon.

Ordonné prêtre, le père Ambroise ne resta pas longtemps attaché au service de l’autel. Il prit froid et, gravement malade, resta cloué au lit pendant plusieurs mois. Sa santé fut sapée pour toujours ; il resta infirme jusqu’à la fin de sa vie. La maladie tempéra la nature trop exubérante du père Ambroise ; elle l’obligea à rentrer en lui-même, à se consacrer au travail incessant de la prière intérieure.

Il disait plus tard : " La maladie est très utile pour un moine. S’il est malade, il ne lui faut se soigner qu’un peu de temps en temps, juste dans la mesure nécessaire pour subsister. "

Sachant le grec et le latin, le père Ambroise assistait le starets Macaire dans ses travaux d’édition des textes patristiques. Il continua ces occupations après la mort de son maître et publia plusieurs œuvres de spiritualité.

Sous l’action de la prière constante, la perspicacité naturelle du père Ambroise se transformait en clairvoyance, ce don admirable de la grâce qui devait faire de lui une des figures les plus étonnantes du startchestvo russe.

Bientôt, il n’y eut plus de secrets pour le starets Ambroise : " il lisait dans l’âme comme dans un livre. "

Un visiteur pouvait garder le silence, se placer à l’écart, derrière le dos des autres, le starets connaissait néanmoins sa vie, l’état de son âme, le mobile qui l’avait amené à Optino.

Ne voulant pas manifester ce don de clairvoyance, le starets posait habituellement des questions aux personnes qui voulaient le voir ; mais rien que sa manière d’interroger les visiteurs montrait qu’il était déjà au courant de tout.

Parfois, la vivacité du starets Ambroise le poussait à révéler sans précautions ce qu’il savait.

Ainsi un jour, il répondit vivement à un jeune artisan qui se plaignait d’avoir mal au bras : " Oui, tu auras mal au bras… Pourquoi as-tu frappé ta mère ? " Puis il se reprit, confus, et se mit à poser des questions : " Ta conduite est-elle toujours bonne ? Es-tu un bon fils ? N’as-tu jamais offensé tes parents ? "

Très souvent le starets usait d’allusions discrètes, presque toujours sous une forme humoristique, pour laisser entendre aux gens que leurs défauts cachés lui étaient connus ; la personne qu’il visait ainsi était la seule à comprendre le sous-entendu.

Une dame qui cachait soigneusement sa passion pour le jeu demanda une fois au starets Ambroise sa carte, (photographie). Le starets sourit avec reproche : " Que me dites-vous là ? Est-ce que nous jouons aux cartes dans le monastère ? " Ayant compris l’allusion, la dame avoua sa faiblesse.

Une jeune fille, une étudiante de Moscou, qui n’avait jamais vu le starets, manifestait une grande animosité à son égard, le traitant de vieil hypocrite. Poussée par la curiosité, elle vint un jour à Optino et se plaça près de la porte, derrière les autres visiteurs qui attendaient. Le starets entra dans le parloir, fit une courte prière, regarda un moment l’assistance et, s’adressant à la jeune personne : " Ah! Mais c’est Véra, elle est venue voir le vieil hypocrite ! " Après une longue conversation en tête-à-tête avec Ambroise, la jeune fille changea d’opinion. Elle devint plus tard religieuse au monastère de Charmordino, fondé par le starets.

Avec les indifférents, le père Ambroise ne perdait pas son temps : il les congédiait après une brève conversation, toujours en termes très courtois. En le quittant, ces visiteurs, venus uniquement par curiosité, disaient habituellement : " C’est un moine très intelligent. "

Ses conseils n’étaient pas réservés à la seule sphère spirituelle, ainsi un propriétaire dont les jardins ne rapportaient rien reçut des indications détaillées de la part du starets pour créer un système d’irrigation perfectionné.

Une paysanne vint lui conter son malheur : les dindes de sa maîtresse crevaient l’une après l’autre et la propriétaire voulait la mettre à la porte. Le starets questionna avec patience la pauvre femme sur la manière dont elle nourrissait les dindes, puis lui donna quelques conseils pratiques. Les témoins de cette scène riaient ou s’indignaient contre la vieille qui avait osé ennuyer le starets avec ses dindes.

Après avoir congédié la paysanne, Ambroise s’adressa aux assistants : " Que voulez-vous, toute sa vie est dans ses dindes ! "

Jamais, devant les difficultés matérielles des gens simples qui venaient le voir, le starets Ambroise n’a dit: " Cela ne me regarde pas ; je ne m’occupe que des âmes. "

Il avait le cœur attentif. Il disait : " Toute ma vie, je n’ai fait que couvrir les toits des autres et mon propre toit est resté troué. "

Aucun défaut humain, aucun péché ne pouvait faire obstacle à l’amour du starets Ambroise : avant de juger, il compatissait et il aimait. C’est pourquoi les pécheurs allaient vers lui sans crainte, avec confiance et espoir.

Une jeune fille, devenue enceinte, fut maudite et chassé de sa famille, par son père, un riche marchand. Elle vint chercher refuge et consolation auprès du starets Ambroise. Celui-ci l’accueillit avec douceur et la plaça chez ses amis, dans une ville voisine, où elle put mettre au monde son enfant. Le starets envoyait régulièrement de l’argent à la jeune mère qui venait le voir de temps en temps avec son fils. Sur le conseil du starets, la jeune femme, qui savait peindre, se mit à gagner son pain en faisant des icônes. Quelques années plus tard, le marchand se réconcilia avec sa fille et s’attacha à son petit-fils.

Vers la fin de sa vie, on l’entendit souvent dire à voix basse en hochant la tête : "J’étais sévère au début de mon startchestvo, mais à présent je suis devenu faible : les gens ont tant de douleur, tant de douleur !"

Il connaissait l’avenir des personnes qui venaient le consulter.

Une jeune fille pauvre fut demandée en mariage par un riche marchand attiré par sa beauté.

Le starets conseilla à sa mère de refuser le marchand disant qu’il avait en vue pour la jeune fille un parti infiniment meilleur.
La mère se récria : " Il n’y a pas de parti meilleur pour nous ; ma fille ne peut tout de même pas épouser un prince. "
" Le fiancé que j’ai pour ta fille est si grand que tu ne peux pas l’imaginer, insiste Ambroise, refuse le marchand. "
La mère obéit au starets ; elle dissuada le fiancé de sa fille. Quelques jours après, la jeune fille tomba subitement malade et mourut.

Deux sœurs vinrent une fois à Optino. L’aînée, de nature renfermée, pensive, très pieuse ; l’autre, exubérante de joie, ne pensant qu’à son fiancée. L’une cherchait à entrer dans un monastère, l’autre voulait que le starets bénisse son futur bonheur conjugal. Ayant reçu les deux jeunes filles, le père Ambroise, sans rien dire, tendit à la fiancée un chapelet. Puis, il s’adressa sa sœur : " Pourquoi parles-tu de monastère ? Bientôt tu vas te marier. " Et il nomma une région éloignée où elle devait rencontrer son futur mari.

Rentrée à Saint-Pétersbourg, la fiancée apprit que celui qu’elle aimait l’avait trompée. ans sa douleur, elle se tourna entièrement vers Dieu ; sa nature subit un changement profond et entra dans un monastère. En même temps, sa sœur aînée fut invitée par une tante de province dont la propriété se trouvait à proximité d’un monastère de femmes. Elle y alla, pensant trouver l’occasion de prendre une connaissance plus proche de la vie monastique. Mais une rencontre qu’elle fit dans la maison de sa tante changea tout : la jeune postulante devint bientôt une épouse heureuse.

Ceux qui connaissaient bien le starets Ambroise savaient par expérience personnelle qu’il fallait obéir à tout ce qu’il disait sans jamais le contredire. Lui-même avait coutume de dire : " Ne discutez jamais avec moi. Je suis faible, je pourrais vous céder et ce serait toujours nuisible pour vous. "

On rapporte l’histoire d’un artisan qui, après avoir fabriqué une nouvelle iconostase pour l’église d’Optino, vint chez le starets Ambroise pour recevoir sa bénédiction avant de rentrer chez lui, à Kalouga, à 60 kilomètres du monastère. Les chevaux étaient déjà attelés, l’artisan était pressé de regagner son atelier sachant qu’une commande avantageuse l’attendait. Mais le starets, après l’avoir retenu longtemps, l’invita à revenir le lendemain, après la liturgie, prendre le thé dans sa cellule. L’artisan, flatté par cette attention du saint homme, n’osa pas refuser. Il espérait trouver encore, son client à Kalouga en y arrivant vers la fin de l’après-midi. Mais le starets ne voulut pas le laisser partir : il fallut que l’artisan revienne prendre le thé dans sa cellule encore une fois, avant les vêpres. Le soir, le père Ambroise renouvela son invitation pour le lendemain. L’artisan, très déçu, mais n’osant point protester, obéit de nouveau. Cette manœuvre se renouvela pendant trois jours. Le starets congédia finalement l’artisan : " Merci, mon ami, pour m’avoir obéi. Dieu te gardera, va en paix. "

Quelques temps après, l’artisan apprit que deux de ses anciens apprentis, sachant qu’il devait rentrer d’Optino avec une somme d’argent considérable, l’avaient guetté trois jours et trois nuits dans la forêt, près de la grand ‘route de Kalouga avec l’intention de le tuer.

Un jeune prêtre fut nommé, selon son propre désir, dans la paroisse la plus pauvre du diocèse d’Orel ; mais, après un an d’existence difficile, il perdit courage et voulut être envoyé ailleurs. Avant de faire sa demande, le jeune prêtre vint consulter le starets Ambroise. L’ayant vu de loin, le starets lui cria : " Va-t-en, rentre chez toi, père ! Il est seul et vous, vous êtes deux. " Puis, expliquant le sens de ses paroles, il ajouta : " Le démon est seul à te tenter tandis que tu as Dieu pour t’aider. Rentre chez toi. C’est un péché que de quitter sa paroisse. Dis la liturgie chaque jour et n’aie aucune crainte : tout ira bien. " Le prêtre, encouragé, reprit son travail pastoral avec patience. Après de longues années, des dons merveilleux se relevèrent en lui : le père Georges Kossov devint un starets de grande renommée.

La connaissance des desseins providentiels, le pouvoir sur les destinées humaines se manifestèrent d’une façon étonnante dans le starets Ambroise au moment où il entreprit la fondation d’un monastère de femmes à Chamordino.

Sur le conseil du starets, une de ses filles spirituelles, la riche propriétaire Klutcharev, acheta le domaine de Chamordino à douze kilomètres d’Optino. Dans la pensée de la pieuse dame qui venait de prendre le voile, cette propriété devait assurer l’avenir de ses petites-filles, deux jumelles orphelines. Le starets Ambroise se rendait souvent à Chamordino, inspectant les constructions de la nouvelle maison des demoiselles Klutcharev. Bâtie d’après les indications du starets, cette nouvelle habitation seigneuriale avait plutôt la disposition d’un monastère. Les deux enfants s’y installèrent avec quelques femmes, anciennes serves des Klutcharev. Leur grand-mère, qui habitait à Optino dans un corps de logis attenant au monastère s’occupait de l’instruction des deux orphelines. Afin de leur faire venir une bonne éducation mondaine, elle voulut faire venir à Chamordino une gouvernante française. Mais le starets s’y opposa. Ne voulant pas affliger la grand-mère, il se garda de lui révéler la vraie cause de son refus.

Mais il parla ouvertement à une amie de la famille Klutcharev : " Les petites ne vivront pas, lui dit-il. Ce n’est pas à la vie de ce monde, mais à la vie éternelle qu’il faut les préparer. Des religieuses vont leurs succéder à Chamordino qui prieront pour le repos de leurs âmes. "

La grand-mère mourut en 1881 et, deux ans après, ses petites-filles, filleules et disciples du starets Ambroise, succombèrent ensemble de la diphtérie à l’âge de douze ans. Un an plus tard, en 1884, une communauté de religieuses s’installait à Chamordino. Attirées par la renommée du starets Ambroise, directeur spirituel des sœurs de Chamordino, des femmes de toutes les classes de la société demandèrent à entrer dans le nouveau monastère. Bientôt, le nombre des religieuses s’éleva à cinq cents. On dut construire en hâte de nouveaux corps de bâtiment pour loger les sœurs qui affluaient toujours, pour aménager un hospice donné aux femmes d’un grand âge, un orphelinat, une école.

La correspondance du starets Ambroise fut immense. Chaque jour, il recevait de trente à quarante lettres. On les disposait devant lui par terre et, avec son bâton, il désignait celles auxquelles il fallait répondre immédiatement. Souvent, il connaissait le contenu d’une lettre avant de l’ouvrir.

Si l’on considère le travail quotidien fourni par ce vieux moine infirme, le nombre de lettres auxquelles il répondait, la quantité de visiteurs qu’il recevait, en trouvant chaque fois une réponse juste, une issue simple dans les situations les plus compliquées, on se rend compte qu’un effort purement humain ne pouvait suffire à cette tâche.

L’œuvre d’un starets est inconcevable sans le concours incessant de la grâce divine.

Les incroyants, les chercheurs de Dieu, si nombreux dans l’intelligentsia russe vers la fin du siècle dernier, venaient auprès du starets Ambroise, dont la seule présence rallumait leur foi éteinte.

Un homme qui avait passé des années à chercher la vraie religion et ne l’avait pas trouvée chez Tolstoï, vint enfin à Optino, " rien que pour voir ". " Eh bien, regardez, " lui dit le starets se dressant devant lui et le fixant avec ses yeux pleins de lumière. L’homme se sentit comme réchauffé par ce regard. Il resta plusieurs mois à Optino. Un jour, il dit au starets : " J’ai trouvé la foi. "

Toutes les voies spirituelles de la Russie au déclin du XIXe siècle passèrent par Optino.

Vladimir Soloviev et Dostoïevski y sont venus. Dans son Récit sur l’Antéchrist, saisi de cette angoisse apocalyptique qui marqua la fin de sa vie, Soloviev représentera l’apôtre saint Jean, témoin de l’Église d’Orient, revenu vers la fin des temps, sous les traits d’un starets russe.

La même image du moine russe se présenta à l’esprit de Dostoïevski lorsqu’il voulut incarner dans son œuvre l’idéal de la sainteté, en créant le personnage du starets Zossime dans Les frères Karamazov.

Tout le décor extérieur, la description du monastère jusqu’aux moindres détails, l’attente des visiteurs, la scène de la réception chez le starets, font penser à Optino.

Rien de plus étranger à l’esprit d’Optino que le christianisme de Léontiev. Et pourtant, ayant une fois rencontré le starets Ambroise, cet homme fantasque et passionné n’a plus voulu le quitter : il passa quinze ans dans la petite maison qu’il se fit construire dans l’enceinte du monastère. Sur le conseil du père Ambroise, Constantin Léontiev se fit moine au monastère de la Trinité-Saint Serge en 1890.

D’autres maîtres de la pensée russe ont ressenti l’attrait irrésistible d’Optino.

Léon Tolstoï a eu quelques entretiens avec le starets Ambroise. Excommunié, solitaire, malade, c’est encore à Optino qu’il viendra, dans un élan d’angoisse, quelques jours avant sa mort, pour rôder sans oser entrer.

Le père Ambroise était de taille moyenne, mais très voûté. Il marchait péniblement en s’appuyant sur une canne. Infirme, la plupart du temps il restait allongé et recevait les visiteurs à demi-couché sur son lit.

Beau dans sa jeunesse, le starets avait un visage pensif quand il restait seul, gai et animé en présence des autres. Ce visage changeait sans cesse d’expression : tantôt le père Ambroise regardait son interlocuteur avec tendresse, tantôt il partait d’un rire jeune et communicatif, ou bien il penchait la tête et il écoutait en silence ce qu’on lui disait pour rester ensuite quelques minutes dans une méditation profonde avant de prendre la parole.

Les yeux noirs du starets fixaient celui à qui il parlait et on sentait que ce regard pénétrait jusqu’au fond de l’être humain, que rien ne pouvait lui rester caché ; pourtant, on éprouvait un sentiment de bien-être, de détente intérieure, de joie.

Toujours affable et gai, plein d’humeur, le starets Ambroise avait une plaisanterie sur les lèvres même aux heures de fatigue extrême, vers la fin de la journée, quand il avait parlé douze heures de suite aux visiteurs qui se succédaient dans sa cellule.

Chaque matin, il se préparait à sa tâche quotidienne en priant seul dans sa cellule. C’étaient les seuls moments où le père Ambroise ne laissait entrer personne, ne voulant pas qu’on le vit pendant sa prière. Les personnes qui essayèrent de pénétrer chez lui malgré cette défense expresse ont vu le starets assis sur son lit, plongé dans la prière ; son visage exprimait une joie indicible ; la présence de Dieu était tellement manifeste que les visiteurs n’osèrent point rester un instant de plus dans la cellule.

Un jour, un moine, entrant chez le père Ambroise à l’heure de sa prière, vit la face du starets resplendir d’une lumière insupportable au regard humain.

Pour éviter toute manifestation trop éclatante de sainteté, le starets Ambroise n’opérait jamais de guérisons ; il envoyait les malades à un puits béni où ils recouvraient la santé après une immersion. Mais les signes miraculeux se multipliaient. Un jour, lorsque les gens se pressaient dans la cour du monastère pour recevoir la bénédiction du starets, on entendit quelqu’un pousser un cri de surprise : " C’est lui, c’est lui ! "

Ayant aperçu l’homme qui criait, le starets devint tout confus, mais il était trop tard pour dissimuler le fait : l’homme a reconnu dans le père Ambroise le vieillard qui lui était apparu en songe, quelques jours auparavant, l’invitant à venir à Optino pour recevoir une aide efficace dans sa situation désespérée.

Un autre cas d’apparition du starets Ambroise à une personne qui avait besoin de lui est encore plus étonnant. Il faut dire que le starets, infirme, ne quittait presque jamais Optino, sauf pour se rendre à Chamordino.

C’est dans ce monastère, au milieu de ses filles spirituelles, qu’il passa la dernière année de sa vie.

À cette époque, un pauvre gentilhomme de province, accablé d’une famille nombreuse, ayant perdu sa place d’intendant chez un riche propriétaire, eut l’idée de se rendre à Optino. Il espérait que le starets Ambroise dont il avait beaucoup entendu parler pourrait le tirer d’embarras. Un jour, il aperçut par la fenêtre un vieux moine-pèlerin qui passait devant sa maison en s’appuyant sur une canne. Selon l’habitude pieuse des campagnards russes, le gentilhomme fit entrer le vieux moine et lui offrit à manger. Il lui conta ses peines et lui exprima son désir d’aller à Optino.

Le vieux pèlerin dit à son hôte que le père Ambroise se trouvait à Chamordino et lui conseilla de s’y rendre au plus vite s’il voulait trouver le starets encore vivant.

Le pèlerin venait de sortir lorsque la maîtresse de la maison voulut le retenir jusqu’au lendemain. On courut le chercher, mais le vieillard avait disparu.

Quelle fut la surprise du pauvre gentilhomme à Chamordino lorsqu’il reconnu dans le starets Ambroise le vieux pèlerin qu’il avait accueilli chez lui quelques jours auparavant. Il se prosterna devant le starets, voulant tout révéler, mais le starets lui coupa la parole : " Tais-toi, tais-toi ", et il ajouta en désignant une dame qui se trouvait dans la foule des visiteurs : " Tu seras intendant dans sa propriété. "

Venu à Chamordino dans l’été de 1890, le starets Ambroise, tombé malade, dut y rester tout l’hiver. Au printemps de 1881, il se sentit un peu mieux, mais une faiblesse extrême l’empêchait de rentrer à Optino. Il continuait à recevoir les visiteurs du matin au soir bien que sa voix fut devenue si faible qu’on entendait à peine ce qu’il disait.

Les moines d’Optino réclamaient le retour du starets dans son monastère, on parlait même de l’y ramener de force, mais le père Ambroise répondait qu’il restait à Chamordino par une volonté expresse de Dieu et qu’il mourrait en route si on le menait à Optino.

L’état du malade s’aggrava. Il perdit totalement l’ouïe de sorte que les visiteurs qui ne cessaient de l’assiéger même sur son lit de mort durent écrire leurs questions sur une grande feuille de papier.

Le 9 Octobre, le starets reçut l’onction des malades et communia.

Le 10 octobre, à onze heures et demie, après la lecture des prières du trépas, le starets Ambroise leva le bras, fit le signe de la croix et cessa de respirer. Son visage était clair, ses lèvres gardaient un sourire de joie profonde. Lorsque, trois jours après, l’hiérarque fit son entrée dans l’église de Chamordino, le choeur chantait l’Alléluia de l’office funèbre. Le cercueil ouvert du père Ambroise se trouvait au milieu de l’église.

Longtemps avant sa maladie, le starets avait averti le père Joseph que sa dépouille, contrairement à celles de ses prédécesseurs Léonide et Macaire, dégagerait une odeur de putréfaction. " Cela m’arrivera, disait-il, parce que j’ai eu trop de gloire imméritée durant ma vie. " En effet, au début, une odeur se fit sentir, mais elle disparut progressivement. Au jour de l’enterrement, le corps du starets exhalait un parfum étonnant.

Plus de huit mille personnes vinrent saluer ce corps qui resta exposé pendant quatre jours. Chacun cherchait à faire placer un instant sur la dépouille du starets un mouchoir ou un pan d’étoffe pour le conserver ensuite comme un objet sacré.

Le 14 octobre, sous une pluie d’automne, le corps du starets Ambroise fut transporté au monastère d’Optino. Le cercueil, porté haut sur les épaules, dominait la foule immense. Dans tous les villages, le clergé et le peuple venaient se joindre à la procession avec des icônes et des bannières. On s’arrêtait de temps en temps pour faire des litanies. Ce convoi mortuaire ressemblait plutôt à une translation de reliques. On remarqua que les grands cierges, qui entouraient le cercueil, ne s’éteignirent pas en cours de route malgré l’intempérie.

Quelques années avant sa mort le starets Ambroise avait fait peindre une icône de la sainte Vierge bénissant les blés moissonnés. Il l’appelait Notre Souveraine Moissonneuse, et institua sa fête le 15 octobre. Ce fut justement le jour où son corps devait être livré à la terre.

Une chapelle fut érigée sur sa tombe où des lampes brûlaient perpétuellement devant les icônes de la Vierge et de saint Ambroise de Milan. Sur la pierre tombale, on grava les paroles de saint Paul :

" J’ai été faible avec les faibles, afin de gagner les faibles.
Je me suis fait tout à tous, afin d’en sauver de toute manière quelques-uns. "

L'Église orthodoxe russe l'a déclaré saint en 1988 et sa mémoire est célébrée le 10 Octobre.

Source: Toutes les Prophéties - Prophétie de Saint Ambroise d’Optino

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